Un article daté du 3 février 2015, écrit par Mathilde Lemaire pour France Info qui traite de l'état de stress post-traumatique chez les militaires. Un sujet sur lequel je travaille afin d'y apporter des réponses par l'hypnothérapie.
Les soldats français de retour de Centrafrique sont particulièrement traumatisés. Deux députés - Olivier Audibert-Troin pour l'UMP et Emilienne Poumirol pour le PS - viennent de publier un rapport alarmant sur l'impact psychologique de cette guerre sur les militaires français qui s'y sont engagés depuis décembre 2013. Au moins 12 % seraient atteints de stress post-traumatiques.
Il veut rester anonyme. Nous l'appellerons Sylvain. Il a une vingtaine d'années. Sylvain est un fantassin, un soldat d'infanterie, au plus près du terrain. Le garçon a souvent le regard dans la vague quand il évoque sa mission en Centrafrique. Il est rentré il y a seulement quelques mois, "changé" dit-il. Changé par ce qu'il a vu là-bas et qu'il n'a pas pu empêcher. Des souvenirs qui ne le quittent plus : "On a été surpris. On ne s'attendait pas à ça. C'était quotidiennement des corps sans tête repêchés dans le fleuve, ou retrouvés calcinés au bord de la route, même des enfants. Des personnes mutilées à coup de machettes par la foule en rage qui venaient vers nous pour trouver du secours. Tout cela, c'était monnaie courante. Est-ce qu'à 19 ou 20 ans, même si on est militaire, on est prêt à voir ça et à l'encaisser. C'est une question que je me pose. Pour moi, ça fera à jamais partie de mon quotidien. J'y pense très souvent, et je me pose la question de l'utilité de ce qu'on a fait. Est-ce que tout cela avait un sens, un but.... je ne suis pas sûr...", s'interroge le jeune homme visiblement marqué.
"Ça fera à jamais partie de mon quotidien."
Face aux enfants soldats
Les images terrifiantes et le sentiment d'impuissance ont fait de la Centrafrique une mission particulièrement traumatisante. Il y a aussi la nature des combats : pas d'ennemis clairs comme en Afghanistan ou au Mali. Les menaces sont difficiles à identifier, la mission est complexe. Sylvain nous montre sur son ordinateur une scène filmée sur place.
Les assaillants - des miliciens - sont si proches qu'on distingue leurs visages. Parfois difficile de ne pas les confondre avec des civils au milieu des arbres et maisons. On voit des combats de rue dans un village et des soldats français qui se tordent de douleur touchés par des éclats de grenades.
"Ce sont des combats très rapprochés, à moins de 50 mètres, en très haute intensité. Face aux lances, aux grenades, on a dû tuer plusieurs fois. C'était eux ou non. Et eux n'ont pas peur de mourir en face. On s'est retrouvé parfois face à des enfants de 13 ou 14 ans armés de kalachnikovs. Ces combats, ce sont des images que j'essaye de chasser de mon esprit, mais qui reviennent souvent au moment de la journée où je ne m'y attends pas ou la nuit.", confie le soldat très marqué. Quand on demande à Sylvain s'il compte repartir en opération, sa réponse fuse : "Non, non, j'en suis incapable. Je ne repartirai plus en opération. Pas question.".
"Face à nous, des enfants avec des kalachnikovs."
Je ne repartirai plus
Sylvain parle aussi des cauchemars, des accès de violences de ses camarades les plus traumatisés. Dans son groupe, trois sont en arrêt maladie. Déjà usé, Sylvain quittera l'armée à la fin de son contrat dans quelques mois, comme l'ont déjà fait d'autres de ses camarades rentrés de Bangui.
Y avait-il un moyen d'éviter les traumatismes de ces soldats ? Après tout, la guerre est forcément quelque chose de difficile, d'insupportable. La guerre fait des morts, c'est une évidence. Mais il semble qu'on aurait pu réduire l'impact psychologique sur le contingent si l'intervention française avait été plus adaptée. Au sein de l'armée, des voix s'élèvent pour dire qu'on n'a en fait pas appréhendé cette opération en Centrafrique comme il le fallait. C'est ce que dit par exemple Michel Goya, colonel en retraite depuis un mois qui a participé à beaucoup opérations extérieures au cours de sa carrière. Selon lui, Paris a envoyé en Centrafrique 2000 hommes là où il en fallait 10 000.
"La Centrafrique, ça n'est pas une guerre au sens classique du terme. C'est une mission de stabilisation sans ennemi déclaré. Il faut se méfier de tout le monde, tout le temps. La menace est complexe. Et pour faire cesser le chaos, il n'y a qu'une seule solution, c'est une présence massive. Il faut beaucoup de monde. Or, on n’a pas mis les effectifs suffisants. Loin de là. Ce qui fait qu'on a placé nos hommes dans une situation délicate. Ils doivent courir d'une explosion de violences à une autre. Ils doivent désarmer les uns, mais n'ont pas le temps de désarmer les autres et s'exposent à des représailles. Cela est très frustrant pour eux, cela procure une grande vulnérabilité, un sentiment d'impuissance. Et c'est très difficile à vivre moralement.", argumente Michel Goya.
Pour autant, la Centrafrique n'est pas la première mission qui occasionne des séquelles psychologiques graves chez les soldats français. Le phénomène a même été identifié dès la première guerre mondiale. La question est donc peut-être plutôt celle de la gestion de ces troubles chez ces soldats brisés.
"Nous n’avons clairement pas mis les effectifs suffisants." (Michel Goya)
L'armée m'abandonne
Il y a des psychiatres du service de santé des armées mais aucune consultation systématique. Il y a aussi un numéro vert. Et depuis 2008 un sas : avant c'était trois jours à Chypre, désormais ce sont deux jours à Dakar. Les militaires se retrouvent sans pression dans un hôtel "4 étoiles" avec piscine, massages et surtout groupes de paroles avant de retrouver leur famille en France.
Mais tous les militaires ne passent pas par ce sas. Et puis, on sait que les stress post traumatiques se déclarent souvent après, quelques fois plus d'un an après.
Ça a été le cas pour Frédéric Wieser, la quarantaine, soldat des forces spéciales, 13ème régiment de dragons parachutiste de Martignas en Gironde. Pour lui, pas de sas au retour d'Afghanistan, et une très grande solitude après, au point qu'il a quitté l'armée.
"Il n'y a aucun de soutien de personne pour des garçons comme moi. Ma hiérarchie n'a pas voulu entendre parler de mon syndrome de stress post-traumatique. C'était comme un tabou. Je me suis même senti montré du doigt au point que j'en ai eu honte.", explique le militaire. Quand il a enfin vu un psychiatre de l'armée que son épouse l'avait poussé à solliciter, Frédéric Wieser a été mis en arrêt maladie pendant un an."J'avais interdiction de me rendre à la caserne. C'était très dur. Je me sentais seul, isolé. Il n'y a que les camarades les plus proches qui m'appelaient parfois pour prendre de mes nouvelles. Les autres n'ont téléphoné que pour savoir quand je comptais reprendre. J'ai essayé mais finalement je n'ai jamais réussi à reprendre.", se souvient-il.
"J'ai donné ma vie pour l'armée. En retour, j'ai eu cette attitude brutale. J'ai une grande amertume à l'égard de l'institution. Je rêvais de faire toute ma carrière dans le monde militaire. Mon rêve s'est envolé parce que je n'ai jamais réussi à y retrouver ma place", raconte le parachutiste ému.
"On a été mis à l’écart, c’était presque une honte."
Des soldats comme Frédéric Wieser qui quittent l'armée, c'est difficile bien sûr pour eux. C'est du gâchis aussi pour l'armée elle-même : ce sont des hommes expérimentés qu'elle perd. Une déperdition de capital humain.
Les deux députés auteurs du rapport qui vient de paraitre préconisent un comité de suivi, de meilleurs statistiques, une réintégration dans les régiments des hommes qui sont en arrêt maladie. Des préconisations de parlementaires? Bien peu de choses pour le moment aux yeux des militaires abîmés par leurs missions.